Les eaux de la Patagonie, laboratoire naturel pour étudier le changement climatique

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A l’extrême sud de la Patagonie chilienne, dans un endroit parmi les plus inhospitaliers de la planète, des scientifiques analysent les eaux, le plancton et les cétacés pour tenter d’anticiper les conséquences du réchauffement climatique dans les autres mers du globe.

Depuis la ville de Punta Arenas, sur le Détroit de Magellan à l’extrême pointe australe du Chili, quatre chercheurs du Centre de recherches des écosystèmes marins de hautes latitudes de l’Université Austral (Ideal) embarquent à bord d’un bateau de pêche, transformé en embarcation scientifique pour les besoins de leurs investigations.

Après une journée et demie de navigation éprouvante sur les eaux tumultueuses du Détroit, point de rencontre des océans Atlantique et Pacifique, balayé par des vents soufflant à plus de 110 km/heure, ils jettent l’ancre à Seno Ballena, « le fjord des baleines », au milieu de glaciers géants qui leur sert de laboratoire.

 

Sur place, ils récupèrent les données enregistrées par un système de capteurs installé depuis avril et qui réalise des batteries d’analyses de l’eau toutes les trois heures.

Pour les chercheurs, il s’agit d’étudier les variations chimiques, physiques et biologiques des eaux du fjord qui présentent aujourd’hui des conditions similaires à ce qui pourraient être celles d’autres écosystèmes marins dans les prochaines décennies, en raison d’une plus grande libération de CO2 dans l’atmosphère et de la fonte des glaciers.

« Dans ce lieu, c’est comme une expérience avec la nature elle-même, cela nous permet de savoir ce qui pourrait se passer sans avoir à l’expérimenter en laboratoire, sans avoir à l’imaginer », explique à l’AFP Maximiliano Vergara, biologiste marin et doctorant en aquaculture à l’Université Austral (UACh).

Seno Ballena tire son nom de la fréquentation des baleines à bosse qui viennent chaque année par dizaines s’y alimenter. Depuis les eaux chaudes de l’Amérique centrale où elles se reproduisent, elles parcourent des milliers de kilomètres pour venir jusqu’à cette zone, l’un des habitats marins les plus productifs de la planète, où krills (petites crevettes d’eau froide) et sardines vivent en abondance.

 

 Disparition du plancton ? –

Mais le dérèglement climatique pourrait mettre à mal cet équilibre.AFP / Martin BERNETTILe biologiste marin Marco Pinto effectue des mesures dans les eaux de Seno Ballena, à Punta Arenas, le 7 décembre 2018

La fonte du glacier de l’île toute proche de Santa Inés et l’accroissement des précipitations dans la région ont fait augmenter les niveaux d’eau douce, à l’image de ce qui est attendu dans d’autres océans en raison de la hausse des températures.

Une transformation aux graves conséquences pour les baleines, car si la composition de l’eau change, le plancton dont elles se nourrissent pourrait disparaître.

« Un changement au sein des micro-algues peut générer des modifications dans la structure secondaire (du système marin) ou chez les animaux qui s’en nourrissent », explique Marco Antonio Pinto, biologiste marin et doctorant à l’UACh.7 décembre 2018

Dans des conditions normales, lorsqu’il y a davantage de micro-algues, le plancton – qui s’en nourrit – alimente les échelons supérieurs de la chaîne alimentaire, jusqu’aux baleines, ajoute le scientifique.

« Ce que nous sommes en train d’établir, c’est notre base de données. « Cela va nous permettre en analysant la situation actuelle de faire des projections sur ce qui pourrait se produire à l’avenir », explique M. Vergara.

Des membres de l’expédition prélèvent des échantillons d’eau dans huit stations installées à divers endroits de Seno Ballena, afin de mesurer les effets de la fonte du glacier de Santa Inés. Celui-ci se réduit toujours davantage et fait désormais apparaître des rochers qui n’étaient pas visibles lors de la précédente expédition en avril.

 

« Les eaux des hautes latitudes, tant de l’hémisphère nord comme de l’hémisphère sud, contiennent une grande quantité d’informations biologiques et physio-chimiques qui peuvent servir de base pour pendre des décisions cruciales concernant des projets de sauvegarde de l’environnement dans les pays développés », estime le biologiste Maximo Frangopulos, professeur à l’Université Magellan et chef de l’expédition.

 

 Formation des coquilles –

Les premières mesures effectuées par les scientifiques ont montré des niveaux de salinité, de teneur en calcium et de pH en baisse, en particulier dans les couches supérieures des eaux, mettant en évidence des changements dans les structures de certaines espèces de micro-algues, vitales pour toute la chaîne alimentaire des espèces vivant dans la zone ou qui s’y rendent régulièrement comme les baleines à bosse.

Les scientifiques redoutent une « marée rouge », un phénomène dû à une prolifération excessive de micro-algues qui provoque la mort de nombreuses espèces marines en consommant une grande quantité d’oxygène ou en les contaminant avec des toxines.

Pour l’heure, ils ont enregistré une plus faible présence de baleines à bosse dans la zone et une fréquentation plus marquée d’autres espèces. Parmi elles, un dauphin à dos lisse et des loups de mer absents jusque-là dans cette région du Chili.

Ils ont aussi relevé une plus faible concentration de carbonate de calcium, ce qui pourrait notamment entraver la formation de la coquille de certains organismes marins comme les mollusques. C’est le cas du krill, très prisé des baleines, qui voit son développement freiné.

« C’est comme un puzzle que nous sommes en train d’assembler (…) pour voir comment le changement climatique peut affecter non seulement le système marin de base, mais aussi les grands mammifères, ce qui aura également un impact social et économique dans la région », ajoute Marco Antonio Pinto.

Le crabe, essentiel à l’économie de la région du Détroit, a notamment besoin de calcium pour fortifier sa carapace.

Les scientifiques du centre Ideal prévoient de revenir à Seno Ballena lors du prochain hiver austral, pour recueillir de nouvelles informations dans les eaux de la Patagonie chilienne.

 

Crédit Photo : Martin BERNETTI

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