“250 grammes de magie et de perfection »: la baguette de pain, emblème dans le monde de la vie quotidienne des Français menacé par l’industrialisation, a été inscrite mercredi au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco.
L’organisation, qui honore avant tout des traditions à sauvegarder plus que les produits eux-mêmes, a ainsi distingué les savoir-faire artisanaux et la culture entourant cet élément incontournable des tables françaises
Avec sa croûte croustillante et sa mie moelleuse, la baguette, apparue au début du XXe siècle à Paris, est aujourd’hui le premier pain consommé dans le pays.
Tous les jours, 12 millions de consommateurs français poussent la porte d’une boulangerie et plus de six milliards de baguettes sortent des fournils chaque année. Aller acheter du pain est ainsi une véritable habitude sociale et conviviale qui rythme leur vie.
C’est une reconnaissance pour la communauté des artisans boulangers-pâtissiers. (…) La baguette, c’est de la farine, de l’eau, du sel, de la levure et le savoir-faire de l’artisan », s’est félicité Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française dans un communiqué.
« C’est effectivement une sorte de consécration », se réjouit Priscilla Hayertz, boulangère à Paris. « C’est un produit de base qui touche toutes les catégories socioculturelles, que l’on soit riche, pauvre ? peu importe, tout le monde mange de la baguette ».
« Belle reconnaissance pour nos artisans et ces lieux fédérateurs que sont nos boulangeries ! », a abondé la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak.
Avec cette inscription, « l’Unesco souligne qu’une pratique alimentaire peut constituer un patrimoine à part entière, qui nous aide à faire société », a déclaré Audrey Azoulay, directrice générale de cette agence de l’ONU.
Mie crème et alvéoles
Le président français Emmanuel Macron avait apporté son soutien à la candidature de la baguette, décidée en 2021, en la décrivant comme « 250 grammes de magie et de perfection ».
Cette reconnaissance est particulièrement importante compte tenu des menaces qui pèsent sur ce savoir-faire, comme l’industrialisation et la baisse du nombre de leurs commerces, surtout dans les communes rurales. En 1970, on comptait quelque 55.000 boulangeries artisanales (une boulangerie pour 790 habitants) contre 35.000 aujourd’hui (une pour 2.000 habitants), soit une disparition de 400 boulangeries par an en moyenne depuis une cinquantaine d’années.
En constante évolution, la baguette « de tradition » est strictement encadrée par un décret de 1993, qui vise à protéger les artisans boulangers et leur impose en même temps des exigences très strictes, comme l’interdiction des additifs.
Elle fait aussi l’objet de concours nationaux, lors desquelles les candidates sont tranchées en longueur pour permettre au jury d’évaluer l’alvéolage et la couleur de la mie, « crème » dans l’idéal.
Les compétiteurs travaillent à partir des mêmes produits mais les baguettes sont toutes différentes. Chacun a sa petite touche particulière, par exemple sur le coup de lame, signature du boulanger.
Délaissée par les classes aisées
Et il est facile de rater une baguette, même pour les plus aguerris. « On est très dépendant de la météo. On doit prendre (en compte) la température des pâtes, de l’eau, du fournil », expliquait en 2019 à l’AFP le boulanger parisien Jean-Yves Boullier.
« Idéalement, il faudrait qu’il fasse chaud, mais pas plus de 22 degrés, humide mais pas trop. Sinon, les pâtes relâchent et le pain se ramollit », ajoutait-il.
Outre les gestes indispensables comme un pétrissage lent, une longue fermentation, un façonnage à la main et une cuisson dans un four à sole, tout repose sur un savoir-faire, expliquent les professionnels.
Le mot baguette apparaît au début du XXe siècle et ce n’est qu’entre les deux guerres qu’il se banalise, souligne Loïc Bienassis, de l’Institut européen de l’histoire et des cultures de l’alimentation, qui a fait partie du comité scientifique ayant préparé le dossier pour l’Unesco.
« Au départ, la baguette est considérée comme un produit de luxe. Les classes populaires mangent des pains rustiques qui se conservent mieux. Puis la consommation se généralise, les campagnes sont gagnées par la baguette dans les années 1960-70 », explique-t-il à l’AFP.
Désormais, la consommation de la baguette décline surtout dans les classes aisées urbaines, qui optent pour les pains au levain, plus intéressants du point de vue nutritionnel, selon M. Bienassis.