Dépoussiérée, la broderie devient art féministe

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Dans une petite pièce joyeusement encombrée, six femmes brodent des vulves colorées en papotant. L’une d’elles, Jess de Wahls, une Berlinoise installée à Londres, apprend à ses consoeurs à revisiter l’art de la broderie tout en brisant quelques tabous.

Pendentif argenté en forme d’ovaires autour du cou, lèvres carmin et mèches de cheveux rouges, cette artiste de 36 ans s’est fait remarquer avec des oeuvres gaies et très élaborées évoquant les menstruations, les inégalités liées au genre ou les injustices sociales.

Dans son atelier à Brixton, au sud de Londres, d’impressionnants portraits de femmes toisent les visiteurs. Un peu plus loin, des oeuvres d’inspiration florale côtoient une broderie d’une coupe menstruelle et une autre d’un tampon imbibé de sang, au milieu d’un bric-à-brac de cercles à broder, fils et morceaux de tissus recyclés.

Son motif fétiche, des ovaires, est décliné en plusieurs versions reflétant l’humeur du moment: en forme de cactus, surmonté d’un arc-en-ciel ou exhibant des doigts d’honneur.

« Choisissez votre vulve », lance dans un sourire l’artiste aux apprenties brodeuses. « On commencera par broder le clitoris avant de faire les poils pubiens ».

Parler de « ça »

Après avoir choisi un modèle, les élèves commencent à broder et les langues se délient chez ces Londoniennes originaires des quatre coins du monde. Elles s’étonnent de la diversité des sexes féminins, comparent leur rapport à la nudité selon leurs cultures d’origine et s’enthousiasment de la prochaine ouverture à Londres d’un « musée du vagin », premier musée du genre consacré à l’anatomie féminine.


AFP / TOLGA AKMEN
L’artiste allemande Jess de Wahls dans son atelier de broderie, à Londres, le 8 mars 2019


Selon la comédienne et vulgarisatrice scientifique Florence Schechter, qui en est à l’origine, « les gens peuvent apprendre (avec ce musée) qu’il n’y a rien de honteux ou d’insultant à propos des vagins et des vulves ».

Jess de Wahls est ravie: « Je pense que c’est très utile de pouvoir parler de +ça+, que les gens ne soient pas gênés de prononcer les mots vagin, vulve, clitoris et ce genre de choses ».

Quand il s’agit de parler sexe, « certains ont encore des réactions d’écoliers », déplore-t-elle, estimant qu’il est temps de « normaliser » ces conversations et pour les femmes d’accepter leurs corps.

Que faire des oeuvres achevées ? « J’apporterai la mienne au travail pour la montrer à mes collègues », s’amuse Jane, conservatrice textile de 40 ans. « Je transformerai probablement la mienne en coussin », envisage Dana, étudiante en broderie de 29 ans, qui espère provoquer des conversations avec ses invités.

Art ancien

Longtemps vue comme un loisir sage et inoffensif réservé aux femmes, la broderie a changé d’image grâce à des artistes comme l’Indienne Sarah Naqvi qui s’attaque à la représentation du corps féminin et au tabou des règles ou la Française Julie Sarloutte dont les oeuvres chargées de tension évoquent des peintures.

Il reste cependant du travail pour que les artistes textile accèdent à la reconnaissance, estime Jess de Wahls, dépitée de n’avoir pas su quelle case cocher lorsqu’elle a voulu faire concourir une de ses oeuvres à la Royal academy of arts, en l’absence de catégorie adaptée.

Elle-même ne s’est initiée à la broderie qu’il y a quatre ans environ, en regardant quelques vidéos sur Youtube. Rapidement, « c’est devenu un second langage ».


AFP / TOLGA AKMEN
L’artiste allemande Jess de Wahls dans son atelier de broderie, à Londres, le 8 mars 2019


Elle raconte qu’ensuite les réseaux sociaux ont « aidé massivement » à la faire connaître. Son compte Instagram lui a permis de se faire repérer par la Tate Modern, célèbre musée d’art moderne londonien, qui lui a proposé d’animer un atelier, et par une galerie en Australie qui a exposé l’an dernier ses oeuvres sous le titre « Big swinging ovaries ».

Selon elle, les réseaux sociaux ont aussi « eu un impact sur la façon dont la broderie est devenue plus connue et populaire ».

La Londonienne milite pour que la broderie soit désormais « vue comme une forme d’art comme les autres ».

« C’est l’un des arts les plus anciens », « jadis vu dans les sociétés occidentales comme une forme élevée d’art », souligne-t-elle, en citant comme exemple la célèbre tapisserie de Bayeux du 11e siècle: en dépit de son nom, c’est en réalité une broderie.

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