L’ancien président Jacques Chirac, « que nous aimions autant qu’il nous aimait », selon les mots d’Emmanuel Macron aux Français jeudi soir, est mort dans la matinée à son domicile parisien à l’âge de 86 ans.
L’homme d’État omniprésent dans quatre décennies de la vie politique française et internationale s’est éteint « dans la matinée, à son domicile » de la rue de Tournon (VIe arrondissement), « très paisiblement, sans souffrir, et entouré de sa famille », a annoncé à l’AFP son gendre Frédéric Salat-Baroux, époux de Claude Chirac.
Celui qui n’apparaissait plus en public depuis plusieurs années fut deux fois président de la République, deux fois Premier ministre, trois fois maire de Paris, fondateur et chef de parti, ainsi que ministre à répétition à partir de l’âge de 34 ans.
Les hommages ont afflué aussitôt après l’annonce du décès de celui qui occupa l’Élysée de 1995 à 2007, apogée d’une vie tout entière consacrée au pouvoir, avant d’affronter la maladie pendant de longues années.
Le président Emmanuel Macron, qui a renoncé à se rendre à Rodez, où il devait lancer le débat national sur les retraites, s’est adressé à 20h00 au pays dans une allocution télévisée, rendant hommage à « un homme d’État que nous aimions autant qu’il nous aimait ».
« Jacques Chirac était un grand Français, libre » qui était « un « amoureux taiseux de notre culture » et qui « aimait profondément les gens », a souligné le chef de l’État. « Jacques Chirac était un destin français », a-t-il ajouté.
Emmanuel Macron s’est ensuite rendu, accompagné de son épouse Brigitte, au domicile de Jacques Chirac à Paris, près du Sénat, pour se recueillir devant la dépouille de l’ancien président de la République.
Une journée de deuil national en hommage à l’ancien chef de l’État se tiendra lundi et un service solennel lui sera rendu ce jour-là, à midi, dans l’église Saint-Sulpice à Paris.
Le Premier ministre Édouard Philippe s’est dit « très ému et un peu nostalgique », en évoquant « un homme qui a compté dans la vie du pays ».
« C’est une part de ma vie qui disparaît aujourd’hui », a commenté Nicolas Sarkozy, son successeur immédiat à l’Élysée, tandis que François Hollande saluait « un combattant » qui « avait su établir un lien personnel avec les Français ».
L’Élysée a ouvert ses portes dès jeudi soir pour que les Français puissent exprimer leurs condoléances, jusqu’à dimanche inclus. Un recueil est mis à disposition dans le vestibule d’honneur du palais.
De l’étranger, la chancelière Angela Merkel a salué « un formidable partenaire et ami », et le président de la Commission européenne, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, a considéré qu' »aujourd’hui, l’Europe perd une de ses figures de proue, la France un grand homme d’État et moi un ami fidèle ».
Dans le monde politique français, une minute de silence a été observée à l’Assemblée nationale, ainsi qu’au Sénat, où le décès a été annoncé en séance. La Tour Eiffel s’est éteinte à partir de 21h00.
« Une part de la France qui s’en va »
La disparition de Jacques Chirac est « une part de la France qui s’en va », a estimé son dernier Premier ministre Dominique de Villepin, qui a dit « pleurer » celui à qui il doit « son engagement en politique ».
La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a salué un président « capable de s’opposer à la folie de la guerre en Irak ».
La chanteuse et comédienne Line Renaud a expliqué que « c’est comme si c’était (son) frère » qui disparaissait. L’industriel François Pinault, ami intime du couple Chirac, a fait part de son « infinie tristesse ».
Coincé derrière le cordon de sécurité, Omar Kerkoudi est un inconditionnel. Dans un cadre, il a rassemblé plusieurs photos prises avec « Jacques », comme au salon de l’agriculture. « Je l’avais rencontré en 1965, j’avais tracté pour lui quand il s’était présenté aux municipales. Je l’ai vu pour la dernière fois il y a un an, il était sorti de son domicile », dit-il les yeux embués.
« Paris est en deuil », a assuré Anne Hidalgo, maire de la capitale qu’il avait dirigée pendant 18 ans.
Depuis la mi-journée, de nombreux badauds convergent dans la rue de Tournon, qui donne sur le Sénat. Antoine, un jeune voisin de 14 ans de l’ancien président, ne l’a jamais croisé, mais voyait souvent sa fille. « Il avait un jardin personnel où il sortait en chaise roulante pour prendre l’air », a-t-il raconté à l’AFP.
La longévité de Jacques Chirac, entre succès brillants et échecs cuisants, a démontré une exceptionnelle capacité de rebond.
Jacques Chirac était parvenu à conquérir l’Élysée – rêve d’une vie pour ce fils unique – en 1995, après deux défaites (1981 et 1988).
Ses mandats élyséens resteront marqués par son « non » à la seconde guerre d’Irak, par la fin de la conscription militaire, la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans les crimes nazis, le passage au quinquennat, le cri d’alarme (« notre maison brûle« ) face à la dégradation de la planète, et une première victoire importante sur la mortalité routière.
– Populaire, mais à l’image abîmée –
En 2007, affaibli par un accident vasculaire cérébral qui l’a frappé deux ans plus tôt, il doit voir triompher Nicolas Sarkozy, pour lequel il est loin de manifester la ferveur indéfectible de son épouse Bernadette.
« Perte de mémoire », « absences », surdité : Jacques Chirac apparaîtra ensuite de plus en plus rarement en public.
L’ancien premier ministre Édouard Balladur, qui vécut au tournant des années 90 une impitoyable rivalité avec son ancien ami, a ainsi dit « son émotion » pour sa disparition « après tant d’années de souffrance ».
La dernière sortie publique de Jacques Chirac remonte à novembre 2014, au Musée du Quai-Branly consacré aux Arts premiers et qui porte son nom. L’ancien président, affaibli mais souriant, était aux côtés de l’un de ses successeurs, François Hollande.
Particulièrement populaire depuis qu’il avait quitté le pouvoir, Jacques Chirac avait pourtant essuyé de cuisants échecs. En 1988, il avait été sèchement battu par François Mitterrand et son épouse Bernadette s’était désespérée que « les Français n’aiment pas (son) mari ».
Neuf ans plus tard, la dissolution qui devait conforter sa majorité à l’Assemblée avait provoqué une humiliante déroute de la droite.
Enfin, c’est sur le terrain judiciaire que l’animal politique s’était abîmé : protégé par l’immunité attachée au mandat présidentiel, il avait été rattrapé par les juges après son retrait de la politique. En 2011, il avait été le premier ancien chef de l’État condamné au pénal, à deux ans d’emprisonnement avec sursis, pour une affaire d’emplois fictifs à la Mairie de Paris.
Il a eu deux filles, Laurence, anorexique depuis sa jeunesse et décédée en avril 2016, et Claude, qui fut sa conseillère en communication et lui a donné son seul petit-fils, Martin, aujourd’hui âgé de 23 ans. Crédit Photo : Agnes GAUDIN