Le gouvernement a présenté mercredi son projet de taxe sur les géants du numérique, censé faire de la France un pionnier en matière d’imposition des « Gafa », en attendant des hypothétiques avancées sur le sujet au niveau européen et international.
Ce dispositif, détaillé en conseil des ministres, est une « première étape » dans la mise en oeuvre « d’une fiscalité du XXIe siècle, sur laquelle tout le monde s’entend pour dire qu’il est temps d’agir », a déclaré le ministre de l’Economie Bruno Le Maire en conférence de presse.
« C’est une question de justice pour nos concitoyens » mais aussi pour « nos entreprises », a-t-il poursuivi. « Personne ne peut accepter que les grandes entreprises du numérique payent 14 points d’impôts de moins que nos PME. »
Selon la Commission européenne, le taux d’imposition moyen des multinationales du numérique, qualifiées de Gafa (acronyme pour Google, Amazon, Facebook et Apple), n’est que de 9% contre 23% pour les entreprises européennes en général.
Cette situation est une « source d’inefficacité pour les finances publiques. Si nous voulons continuer à financer nos services publics, nos crèches, nos hôpitaux, nos écoles, il faut taxer la valeur là où elle se crée », a martelé M. Le Maire, face aux critiques émises sur la pertinence de ce nouvel impôt.
400 millions d’euros de recettes en 2019
Le projet de loi, annoncé en décembre face au mouvement des « gilets jaunes », fait suite à l’échec des discussions menées depuis 18 mois pour instaurer une taxe Gafa à l’échelle de l’Union européenne, quatre Etats membres ayant refusé de souscrire au projet (Irlande, Suède, Danemark et Finlande).
Le texte, qui sera débattu à partir d’avril au Parlement, prévoit un taux d’imposition de 3% pour les entreprises qui font un chiffre d’affaires sur leurs activités numériques de 750 millions d’euros dans le monde et de plus de 25 millions d’euros en France.
Le périmètre de la taxe couvre trois activités: les publicités en ligne, la vente à des tiers des données personnelles et l’intermédiation, c’est-à-dire les plateformes qui renvoient l’internaute vers un site tiers (mais pas les ventes réalisées par une enseigne via internet sur son propre site).
Selon Bercy, une trentaine de grandes sociétés devraient être concernées par cette taxe, appliquée de façon rétroactive à partir du 1er janvier. Parmi elles, seules une minorité d’entreprises françaises seront touchées, a précisé Bercy à l’AFP, sans dévoiler le nom des groupes en question.
« S’agissant du rendement de la taxe, nous partons pour 2019 sur un rendement de 400 millions d’euros », a précisé M. Le Maire, qui avait dit initialement tabler sur 500 millions d’euros de recettes fiscales. Ce rendement devrait ensuite progresser pour atteindre 650 millions en 2021, a-t-il précisé.
Combat mondial
L’annonce de cette taxe a fait naître de nombreux griefs chez les entreprises visées, qui ont regretté qu’elle soit basée sur le chiffre d’affaires et non sur le bénéfice, et qui ont évoqué de possibles répercussions sur les consommateurs.
L’initiative a également suscité les critiques de l’opposition, notamment à gauche. « c’est un pansement sur une jambe de bois », a dénoncé mercredi sur France inter Manon Aubry, tête de liste LFI pour les européennes.
« Bruno Le Maire s’attaque à ces mastodontes avec un pistolet à eau (…) On nous présente cela comme une grande victoire alors que cela rapportera sept fois moins que l’impôt de solidarité sur la fortune, supprimé l’an dernier », a regretté de son côté Ian Brossat, tête de liste PCF, dans Libération.
« J’ai entendu depuis plusieurs jours, avec pas mal de mauvaise foi, pas mal d’arguments qui ne tiennent tout simplement pas la route. Ne jouons pas avec les peurs des Français », a réagi de son côté Bruno Le Maire, défendant une taxe « simple et efficace ».
Cette taxe « a fait bouger les lignes, elle a ouvert une voie ». Mais « cette taxation nationale a vocation a être remplacée le moment venu par une taxation internationale », qui « reste notre objectif », a ajouté M. Le Maire, qui vise un accord d’ici 2020 au sein de l’OCDE.
Outre la France, plusieurs pays ont d’ores et déjà dévoilé des projets de taxation des géants du numérique, à l’image de l’Inde, de l’Australie, mais aussi — en ce qui concerne l’Union européenne — du Royaume-Uni, de l’Autriche, de l’Espagne et de l’Italie,
Les propositions faites par la Commission européenne « sont toujours sur la table », a souligné mercredi le commissaire aux Affaires économiques Pierre Moscovici, pour qui l’initiative de Paris « doit aider à maintenir la pression politique pour une solution européenne rapide ».
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