Elles sont à la pointe de la filière voile et imaginent les bateaux de demain: en Bretagne, les entreprises de la « Sailing Valley » cherchent aujourd’hui à pousser les murs pour conquérir les marchés à l’étranger.
La « Sailing Valley », ce sont 162 entreprises installées entre Brest (Finistère) et Vannes (Morbihan), selon une récente étude de l’Agence économique régionale de développement BDI.
Opérateurs, ingénieurs, designers, architectes navals… La filière compte 1.500 emplois dont plus de 700 directement liés à la voile de compétition, et une trentaine de métiers.
Michel Desjoyeaux, Armel Le Cleac’h, François Gabart… Les grands noms de la voile font appel à cette pépinière d’entreprises qui fonctionnent « main dans la main comme dans un écosystème », souligne Carole Bourlon, animatrice à la BDI, dans un entretien à l’AFP à quelques jours du départ de la Route du Rhum.
Avec des entreprises qui collectionnent les victoires comme CDK Technologies dont les bateaux ont remporté les trois derniers Vendée Globe.
Chez le fabricant de mâts en carbone Lorima, vainqueur de la Volvo Ocean Race 2012-2013 sur Groupama, on ne connaît pas la crise. Avec entre 10 et 15 projets en cours de fabrication, et une cinquantaine de mâts de figaro en commande, ce leader mondial spécialisé en maxi et multicoques est aussi le fournisseur officiel de la classe Imoca, avec un contrat jusqu’en 2021.
Implanté dans une vingtaine de pays, Lorima s’attaque aujourd’hui aux marchés étrangers face à une concurrence néo-zélandaise féroce. « Pour réussir à vendre sur le marché anglo-saxon, nous avons dû continuer à développer notre expertise », souligne son dirigeant Vincent Marsaudon.
Ce patron fait visiter ses ateliers, installés à Lorient (Morbihan) dans les murs bétonnés de l’ancienne base sous-marine, et dévoile le futur mât bleu Banque populaire – une pièce de 35 m de long pour 800 à 900 kg – posé à l’horizontale.
Conception, découpe, drapage des pièces de textile imprégné de résine, cuisson pendant six heures à 100 degrés: chaque pièce suit un strict protocole de fabrication.
Et dans ce secteur où la résistance des pièces est la priorité, chaque gramme compte. « L’intérêt du carbone est de gagner en masse », souligne le dirigeant de cette entreprise passée de 17 salariés en 2002 à 35, pour 6 millions de chiffres d’affaires, dont « 99% sur la voile de compétition ».
« La Sailing Valley regroupe des sociétés assez médiatiques, c’est un savoir-faire français, breton », souligne Carole Bourlon.
La marque « Bretagne Sailing Valley » lancée par la région l’année dernière est devenue un « facteur de rayonnement et d’attractivité », affirme cette responsable du programme Eurolarge Innovation porté par la BDI.
En 2017, ces entreprises ont réalisé 205 millions de chiffre d’affaires dont 56 dans la voile de compétition.
Passer de l’artisanat à l’industrie
La « matière grise » est cruciale et chaque entreprise investit en moyenne plus de 25% du chiffre d’affaires en recherche et développement, mobilise labos et doctorants.
A Lorient, Avels Robotics, créée il y a un an, a fait le pari de la robotisation pour développer les « foils » des futures Formule 1 des mers. Ces appendices permettent aux maxi-trimarans de la classe Ultime de devenir des « hydroptères » en s’élevant au-dessus de l’eau pour filer à vive allure.
Le concept, né dans l’esprit de Tabarly, a révolutionné la course au large. En 1980, à bord de son multicoque à foils Paul Ricard, Tabarly battait le record de la traversée de l’Atlantique Nord (10 j 5 h).
Le créateur de cette PME Luc Talbourdet a investi un million d’euros dans un robot utilisé chez Airbus, pour fabriquer des prototypes. « Le robot permet de faire des pièces en série réellement identiques » qui étaient autrement fabriquées à la main, souligne ce directeur de l’écurie de course de Jean-Pierre Dick.
Pour faire le vide, un bras articulé sur vérins hydrauliques compresse avec précision, des bandes de fibre carbone, selon des process développés par les six ingénieurs et deux techniciens de cette PME, qui ont permis de diviser par deux le temps de fabrication.
« Le but, c’est de sortir de l’artisanat pour arriver à l’industrie », explique Luc Talbourdet qui espère un chiffre d’affaires supérieur à 2 millions d’euros d’ici cinq ans.